Énigme de l’année et du lieu de naissance
Ce dimanche 29 mai 2011, le chef de l’Etat, le président Abdoulaye Wade fête ses 85 ans. Du moins officiellement. Car un grand mystère entoure l’âge réel ainsi que le lieu de naissance du président de la République. Est-il né en 1926 ou avant ? Est-ce à Kébémer ou à Saint-Louis ? Autant de questions qui entretiennent le flou autour d’un homme dont la candidature pour un troisième mandat divise la classe politique et les spécialistes du droit.
En effet, dans sa biographie sur le site officiel du gouvernement du Sénégal, Me Wade est né « le 29 mai 1926 à Saint-Louis (Sénégal) ». L’encyclopédie en ligne Wikipedia dit de Wade qu’il est « né le 29 mai 1926 à Kébémer, mais déclaré à Saint-Louis pour bénéficier du statut de citoyen français », en reprenant les explications de l’homme dans le livre entretien « Une vie pour l’Afrique » réalisé par les journalistes français Jean-Marc Kalflèche et Gilles Delafon et édité en 2008 par Michel Lafon. Dans cet ouvrage (en réponse duquel l’analyste Mody Niang a publié « Un vieux président face à lui-même : Autoglorification, affabulations et calomnies »), Me Wade soutient qu’il est effectivement né à Kébémer en 1926 et qu’il avait été déclaré à Saint Louis, capitale de l’Afrique occidentale française (Aof). Ce, afin de bénéficier de la nationalité française accordée en son temps aux natifs des communes de Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar.
Mais voilà, cette explication ne semble pas convaincre, au regard des révélations faites par Idrissa Seck, en 2006, dans un journal malien « L’Indépendant ». En effet, le 8 décembre de cette année, dans les colonnes de ce journal, l’ancien Premier ministre s’était intéressé à l’âge de Me Wade. À la question de savoir si Abdoulaye Wade, âgé alors de 80 ans, pouvait postuler à la magistrature suprême, le leader de Rewmi avait répondu avec un brin d’ironie : « Enfin. 80 ans officiellement, mais... bon ! Certains disent qu’il faut y ajouter 7 ans ! ». Et pour expliciter sa pensée, Idrissa Seck déclarait : « J’entends beaucoup d’histoires. C’est moi-même qui ai établi son dossier de candidature en 1988 et en 2000 et j’étais frappé par la mention ‘né à Saint-Louis’ ».
Le maire de Thiès de soutenir qu’il avait posé la question à Me Wade puisque croyant « qu’il était né à Kébémer ». Mais l’opposant d’alors lui aurait expliqué qu’à l’époque, « les parents faisaient naître leurs enfants à Saint-Louis pour leur faire bénéficier du statut de Français dans les quatre communes (Ndlr : Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque) et pour leur permettre d’avoir une meilleure éducation ». Mais ce qu’ajouta Idy est des plus renversants : « Et il semblerait que ce soit Wade lui-même qui serait allé retirer son bulletin. Donc, il devait, sans doute, avoir cinq ou six ans ». Idrissa Seck évoquait aussi « une autre anecdote qui a été rapportée par un écrivain : c’est qu’il a dit lui-même qu’il courait derrière le cheval de Serigne Touba (qu’Allah augmente sa lumière) quand celui-ci venait à Kébémer. Or Serigne Touba a quitté ce monde en 1927. En 1927, quand on est né en mai 1926, on ne peut courir derrière un cheval ». Autant de versions qui rendent la question de l’âge du président Wade aussi complexe que sa personnalité ou son cursus.
Me Abdoulaye Wade, d’un cursus scolaire qui sort de l’ordinaire…
Avocat, économiste, consultant international, Me Wade a vu son parcours connaître un couronnement au soir du 19 mars 2000, lorsque l’opposant politique de 26 ans est enfin devenu président de la République du Sénégal. Le troisième, succédant à Senghor et Diouf avec qui il a croisé le fer pendant presque trois décennies. Mais que de péripéties avant d’en arriver à ce stade. Son premier diplôme (Diplôme de fin d’études), Wade l’a obtenu à l’école normale fédérale William Ponty en 1946-47. Il fut entre-temps enseignant puis surveillant au Lycée Van Vollenhoven (actuel Lycée Lamine Guèye). De 1950 à 51, il effectua des études de mathématiques élémentaires au lycée Condorcet de Paris. Puis, entre 1952 et 1955, Me Wade décroche plusieurs certificats d’études supérieures de psychologie générale, de morale et de sociologie à la Faculté de lettre de l’université de Besançon (France). C’est dans la même université qu’il obtient sa licence en Droit à la Faculté de Besançon-Dijon. C’est aussi à Dijon que Me Wade obtient son diplôme d’Economie politique en 1957.
En 1959, Me Wade obtient un certificat d’études supérieures en psychologie de la vie sociale à l’université de Grenoble et le diplôme de Droit public à la Faculté de Droit de la même université. La même année, il devient Docteur en Droit et en Science Economique, en étant major de sa promotion. Puis, il entre dans l’enseignement comme chargé de cours à l’université de Dakar, à la Faculté de Droit et des Sciences économiques, de 1959 à 1966. Me Wade devient agrége des Facultés de Droits et des Sciences Economiques Paris-Panthéon à l’université de la Sorbonne (France). De retour au Sénégal en 1970-71, l’homme qui fut entre 1955 et 1958 avocat stagiaire au Barreau de Besançon, avocat au Barreau de Grenoble et entre 1959 et 1958, exerce comme avocat à Dakar. Me Abdoulaye Wade a également été rédacteur de plusieurs ouvrages sur l’économie, le droit et les sciences politiques. Il a aussi occupé des fonctions internationales au sein de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), entre autres organes au sein desquels il a officié.
…À une vie de président bien particulière
À ce fabuleux cursus académique de celui qui est qualifié par ses hagiographes d’« homme le plus diplômé du Caire au Cap, il faut ajouter les 26 ans que Wade a passé dans les méandres de l’opposition avant d’arriver à la magistrature suprême. Mais sait-on vraiment, même 11 ans après l’alternance politique du 19 mars 2000, qui est vraiment cet homme dont son ancien directeur de Cabinet, Idrissa Seck, rapporte qu’au soir de son accession au pouvoir, il lui a confié cette phrase pour le moins symptomatique : « Idrissa, nos soucis d’argent son terminés ». Car avec l’argent, cet ancien militant socialiste, devenu un pur libéral, semble avoir des problèmes depuis qu’il a pris les rênes du Sénégal vu le rythme auquel les scandales se succèdent dans le pays. Son combat politique, Me Wade l’a en tout cas entamé depuis fort longtemps, lui qui a été responsable local du Parti socialiste (Ps) en 1973 et qui a siégé au Conseil économique et social entre 1970 et 1978, avant de créer son « parti de contribution » en 1974. Le Parti démocratique sénégalais (Pds) a permis à l’homme qui voulait s’émanciper comme opposant à Senghor, de siéger à l’Assemblée nationale dès 1978 comme député. Il y restera jusqu’en 1983. Par la suite, il s’oppose à Abdou Diouf qui l’emprisonne au sortir des élections présidentielles de 1988 pour lesquelles il s’est déclaré vainqueur et qui ont vu le Sénégal basculer dans la violence. Ce qui a conduit le système scolaire dans la crise avec comme aboutissement une année blanche.
En se réconciliant avec Diouf, en 1991, Wade inaugure l’ère de l’entrisme au Sénégal. D’avril 1991 à octobre 1992, il siège avec son parti dans le gouvernement d’union nationale mis en place par le régime socialiste, comme ministre d’État, sans portefeuille. À la veille des élections présidentielles de 1993, il en sort pour reprendre son duel avec Diouf. Une fois de plus, il perd les élections et conteste les résultats. Et à cause de l’assassinat, le 15 mai 1993, du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, Abdoulaye Wade est arrêté et jeté en prison avec plusieurs membres du Pds, accusés d’en être les commanditaires. Ils seront cependant rapidement relaxés faute de preuves. L’affaire Me Sèye dépassé avec la condamnation de proches de Wade, dont Amadou Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop, comme étant les exécutants, sans que les commanditaires ne soient démasqués, Abdoulaye Wade a réintégré le gouvernement d’Abdou Diouf en 1995, cette fois au poste de ministre d’État auprès du président de la République. Il y restera jusqu’à la veille des Législatives de 1998.
À la veille de l’élection présidentielle de 2000, désillusionné, Me Wade passe près d’une année en France et hésite à rentrer au Sénégal pour se présenter. Finalement, il est convaincu par Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily et Idrissa Seck. De retour à Dakar, en octobre 99, il est accueilli par une déferlante humaine. La marche vers l’alternance politique venait d’être lancée. Et à la présidentielle du 27 février 2000, Abdoulaye Wade met Abdou Diouf en ballottage en obtenant 31% des suffrages au premier tour contre 41,3% pour le président sortant. Au deuxième, Moustapha Niasse se range du côté de Wade à qui il apporte ses 17% du premier tour. Le vent du changement faisant le reste, Me Wade est élu au soir du 19 mars 2000 président du Sénégal avec 58,1% des voix. Installé au Palais, en ce début d’alternance, il dissout le Sénat et le Conseil économique et social et forme un gouvernement avec ses alliés. Mais très vite, sa gestion personnelle et patrimonialiste a raison de ses alliés qu’il chasse un par un. Dansokho est ainsi « défenestré » (c’est lui-même qui a usé du mot au soir de son limogeage) du gouvernement. Puis, ce fut autour de Niasse et Bathily de partir.
Mais surtout, le Pds de Wade lance d’ailleurs la mode « transhumance politique » en accueillant dans ses rangs d’anciens barons socialistes. Et au fur et à mesure qu’il consolide son pouvoir, Wade se débarrasse de ses vieux compagnons, comme aussi de ses N°2, à l’image d’Idrissa Seck et Macky Sall, au profit de ceux-là qui, hier, œuvraient pour qu’il n’accède pas au pouvoir. Tels Ousmane Ngom, Djibo Ka, Aïda Mbodj, Adama Sall, Abdourahim Agne, Ablaye Diack, Assane Diagne, Daouda Faye etc. De même, durant ces premières années d’alternance, Wade dont la gestion est polluée par les scandales et les règlements de comptes politiques sur fond de manipulation de la justice instrumentalisée pour solder des dossiers politico-économiques, pose des actes qui renseignent sur son personnage. Il en est ainsi de la grâce présidentielle qu’il accorde aux meurtriers du juge Sèye, en 2002. Et dans le même sillage, il fait voter une loi d’amnistie dite « Loi Ezzan » du nom du défunt député Ibrahima Isidore Ezzan qui a porté le projet. Avant cela, il avait indemnisé la famille du défunt juge à hauteur de 600 millions de francs Cfa.
Dans ses contradictions, Wade a réussi la prouesse de remettre au goût du jour, en mai 2007, le Sénat et aussi le Conseil économique et social sous l’appellation d’abord de Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales. Son régime s’est également illustré par son instabilité en matière de gestion gouvernementale puisqu’en 11 ans, il a déjà eu recours à cinq Premiers ministres. Les ministres qui sont passés dans la salle du Conseil des ministres approchent le demi-millier depuis que Wade est au pouvoir. Son magistère, c’est également un scandale chassant un autre. L’acquisition d’un terrain à Ngor virage payé à plus d’un milliard cash est le dernier d’une longue liste de scandales, financiers comme fonciers. L’on peut citer la réfection de « La Pointe de Sangomar » qui a coûté au contribuable sénégalais plus de 30 milliards de francs Cfa alors que Wade disait qu’elle était entièrement prise en charge par « des amis » à lui. L’affaire des 7 milliards de Taiwan, l’acquisition des réserves foncières de l’aéroport, l’érection du monument de la Renaissance africaine, les 7 milliards d’investissement mis dans son domaine privé dans le cadre du Fesman, l’achat d’un nouvel avion auprès du gouvernement français, l’affaire Segura, l’affaire des « Chantiers de Thiès », c’est la liste non exhaustive des scandales qui jalonnent le parcours de Wade depuis 2000.
Bachir FOFANA - Harouna DEME - Birane LO — Le Populaire