Le fils cadet de Cheikh Ahmadou Bamba a vu le jour en 1343 h (1924), à l'époque de la détention en résidence surveillée du Serviteur du Prophète (PSL) par les autorités coloniales à Diourbel. Sa mère se nomme Sokhna Mbéya Diop, originaire de Doréga
près de Coki, et fille de Sokhna Fatou Tacko Diop.
N'étant âgé que de trois ans à la disparition de son illustre père en 1927, Cheikh Mourtada fut
confié à son grand frère Cheikh Mouhamadou Moustapha (1888-1945), fils aîné et premier Calife
de Cheikh Ahmadou Bamba, qui veilla particulièrement à son éducation et à sa formation
religieuse et intellectuelle. Il vécut ainsi les premières années de sa jeunesse avec Cheikh Moustapha qui lui témoignait, à l'instar de tous ses autres frères et sœurs, une rare affection et le confia à différents maîtres auprès de qui Cheikh Mourtada acheva sa mémorisation du Coran. Le premier calife l'enverra plus tard en Mauritanie où il entama l'étude des sciences religieuses
classiques que sont la théologie (tawhid), la jurisprudence islamique(fiqh), le soufisme (tasawuf), les sciences instrumentales (grammaire, rhétorique etc.) De retour en son pays natal, Cheikh
Mourtada retrouva son grand frère qui prit l'usage de l'amener fréquemment en sa compagnie au
cours de ses nombreux déplacements à travers le pays aux fins surtout de raffermir son expérience
et de parfaire sa formation dans la gestion des affaires de la communauté.
Le caractère du jeune Mourtada était marqué par une remarquable ardeur et une forte
détermination à l'acquisition de la science, par un fort attachement à l'orthodoxie et à la Sunna du
Prophète (PSL), par la tempérance et le détachement des vanités du bas monde et bien d'autres
vertus procédant d'une Faveur divine particulière. On reconnaissait déjà en lui, dés sa prime
jeunesse, l'essentiel des qualités dévolues aux saintes éminences, celles des grands Hommes de
DIEU appelés à réaliser des destinées exceptionnelles.
Pressé par une soif inextinguible de spiritualité et d'Amour du Seigneur, Cheikh Mourtada décidera,
bien après la disparition de son illustre tuteur, de se retirer pendant une longue période,
accompagné d'un nombre restreint de disciples, dans la solitude de la forêt de Bambouck (ancien
Sénégal Oriental) pour méditer et se consacrer exclusivement aux dures pratiques cultuelles. Et ce
ne fut qu'à la requête de son grand frère Cheikh Mouhamadou Bachir qu'il consentira à revenir
pour se consacrer à ce qui devait être l'une des œuvres les plus considérables de la Mouridiyah : la
propagation du message de l'Islam aux quatre coins du globe, l'éducation et l'instruction des
disciples mourides disséminés à travers le monde entier.
Doté d'une pureté de cœur et d'esprit rarissime, Cheikh Mourtada marqua tous ceux qui eurent la
chance de le côtoyer par sa capacité à supporter les dures épreuves de la vie, à l'instar des
difficultés imposées à ses débuts par la relative modestie de ses ressources personnelles, les fils
cadets du Cheikh ne jouissant pas encore, en ces temps-là de leur notoriété ultérieure et du fait de
sa très grande libéralité qui l'incitait malgré tout à prodiguer ses biens aux plus démunis. Ayant ainsi appris à supporter stoïquement la peine et à surmonter la fatigue et la maladie qui ne
l'empêchaient jamais de faire son devoir, l'unique repos de Cheikh Mourtada résidait dans la
réalisation de sa mission : accomplir toute œuvre bénéfique à l'Islam, édifier des centres
d'enseignement religieux, construire des mosquées, convertir des non musulmans à l'Islam, assister
les indigents et les nécessiteux etc.
En effet, cet érudit d'envergure, qui perpétuait un héritage spirituel d'une dimension
exceptionnelle, s'est énormément investi, comme nul ne l'a jamais fait, dans le domaine de
l'éducation, par l'implantation, dans tout le Sénégal et dans les communautés sénégalaises du
monde entier, des écoles où l'on enseignait le Livre de DIEU, les sciences religieuses et profanes qui
ont formé plusieurs générations de lettrés du pays.
L'Institution Al-Azhar qu'il mit ainsi en place dans les années 70 constitue à ce jour le plus grand
réseau scolaire privé du Sénégal avec près des centaines d'écoles disséminées dans les 11 régions
du Sénégal et à l'étranger (Europe, Etats-Unis, Afrique). L'Institution compte, en fin juin 2006, 300
établissements et un effectif de plus de 40 000 élèves, avec des centaines de professeurs pris en
charge sur fonds propres avec la modique contribution financière des élèves dont beaucoup
représentent des cas sociaux inscrits gratuitement à l'institut. Les nobles objectifs ayant présidé à la
création de Al-Azhar furent :
• Renforcer la foi authentique des musulmans, en leur assurant une bonne formation
religieuse et intellectuelle conformément au projet de société de Cheikh Ahmadou Bamba
• Contribuer efficacement à la lutte contre l'ignorance et les maux du sous-développement
comme le chômage endémique, l'acculturation, la délinquance etc.
• Participer à l'œuvre de construction nationale par la formation, l'éducation et la solidarité.
Cette initiative de Cheikh Mourtada s'avère d'autant plus remarquable et primordiale qu'elle
reflète et matérialise d'une manière inédite, à travers une approche moderne, prospective et
volontariste, la place qu'occupe l'acquisition de la connaissance véritable dans l'enseignement de
Cheikh Ahmadou Bamba qui n'a jamais cessé d'agir en ce sens et d'en souligner l'importance dans
un grand nombre de ses écrits :
"Sache que la science et l'action constituent les deux moyens pour atteindre la Félicité Eternelle.
Soucie-toi en permanence de ces deux principes en te débarrassant de tous tes défauts et en
restant dans la pureté la plus absolue. Fais preuve de sincérité dans chacun de ces deux principes
avec un culte exclusif à DIEU, ainsi obtiendras-tu de belles particularités et seras compté parmi
ceux qui suivent la Tradition du Prophète Elu (PSL)" (Les Itinéraires du Paradis, v. 91-94)
"Les ténèbres des innovations blâmables (bid'a) sur le Dogme dissipent les lumières qui mènent vers DIEU, le SUPREME GUIDE. Quiconque vous interdit de rechercher le savoir, son interdiction relève assurément de l'égarement car celui qui, en cette époque, empêche aux gens de s'instruire, celuilà appelle vers l'innovation haïssable du fait que toute pratique qui n'est pas inspirée par la science sera entachée d'imperfections. La connaissance et la pratique sont deux joyaux précieux qui génèrent le bonheur dans les Mondes d'ici-bas et de l'Au-delà. Le plus noble de ces deux principes demeure toutefois la science, qui constitue une priorité, comme nous l'apprend le Prophète Elu (PSL). Car ceux qui agissent en marge de la science, leur action est assimilée à la poussière
dispersée par le vent." (Les Verrous de l'Enfer et les Clés du Paradis, v. 20 et suivants).
"Ne reste jamais un seul jour de ta vie sans rechercher la Connaissance puis sans t'évertuer à la
mettre résolument en pratique pour adorer DIEU. Car le Savoir vivifie le coeur de celui qui l'acquiert
de la façon dont il illumine son âme et l'éloigne de l'égarement. Sache que les créatures ne se
différencient fondamentalement que par le Savoir et la Pratique Religieuse, sois donc persévérant
[dans leur quête]. C'est en effet par la Connaissance et l'Adoration de DIEU que tout homme
éminent surpasse ses pairs mais nullement par une auguste ascendance fut-elle de la lignée
paternelle et maternelle ; persévère donc à acquérir ces deux vertus tout en te conformant aux
Règles de Bonne Conduite... (…) Ainsi qu'il fut dit : "Le Savoir est au coeur ce qu'est la pluie au
terroir qu'elle arrose. Le Savoir extirpe l'aveuglement du coeur de celui qui l'acquiert de la façon
dont la lune dissipe les ténèbres" Un poète a également dit : "C'est par le Savoir que furent rendus à
la vie des coeurs qui, jadis, ne discernaient absolument pas le vrai du faux. Le Savoir est une
lumière par laquelle l'âme se dirige vers la Vérité à l'image de la lumière naturelle pour l'oeil
humain"" (La Voie de la Réalisation des Vœux, v. 159 et suivants)
Cheikh Mourtada symbolise ainsi l'archétype même des vertueux épigones dont le Serviteur du
Prophète (PSL) a prié le SEIGNEUR de le gratifier lorsqu'il écrivait :
"Ô SEIGNEUR ! Accorde-moi des descendants persévérants qui revivifient la Voie du Prophète Elu."
"Ô SEIGNEUR ! Accorde-moi des descendants qui persisteront dans les bonnes œuvres."
L'extension des activités de Al-Azhar a également permis de créer l'un des premiers réseaux de
transport en commun du Sénégal constitué d'autobus acquis par Cheikh Mourtada qui sillonnent
les recoins les plus des enclavés du pays à des tarifs très abordables pour les couches démunies.
Elle a également permis à l'Institution de s'investir dans le secteur pétrochimique par la création de
stations d'essence gérées par des citoyens issus de ses écoles.
L'œuvre de Cheikh Mourtada s'est étendue au monde entier à travers les visites annuelles qu'il
accomplissait aux quatre coins du globe pour répandre et revivifier le message de l'Islam.
Missionnaire infatigable et plénipotentiaire de la Religion agréée de DIEU, le Cheikh passait ainsi de
continent en continent pour convier l'humanité à la source ineffable de l'Islam et rappeler aux
disciples les Commandements du SEIGNEUR ; les localité les plus reculées du Sénégal comme les
plus grandes villes du monde eurent à accueillir sa sainte et attachante silhouette faite de pureté,
de compassion, de grâce et d'attachement au Message de DIEU : Paris, Rome, Madrid, New York,
Abidjan, Johannesburg etc.
Ayant ainsi allumé ou ravivé de nombreux foyers mourides dans des lieux pas toujours favorables à
l'implantation de l’islam dont l'image fut souvent déformée, Cheikh Mourtada sut imposer à ses
nombreux interlocuteurs officiels une vision alternative d'une religion de tolérance et de pardon au
point d'en convertir un grand nombre. Son action permit ainsi à la communauté mouride d'être
mieux respectée et honorée, à travers notamment, l'organisation annuelle de "Sheikh Ahmadou
Bamba's days" dans plusieurs villes des Etats-Unis et des journées culturelles Cheikh Ahmadou
Bamba au siège même des Nations Unies, ce qui constitue une première dans l'histoire de la
communauté.
Cet ambassadeur infatigable de l'islam - qui refusait absolument tout clivage au sein de l'islam et
oeuvrait au nom de toute la Umma islamique sans aucune sorte de discrimination - créa
également la Fondation Khadimou Rassoul dont l'objet est de concrétiser les nobles idéaux
contenus dans les enseignements du Serviteur du Prophète (PSL) et l'organisation MICA (Muslim
Islamic Community in America) en charge de coordonner les activités de la communauté aux
Etats Unis.
Les recommandations de Cheikh Mourtada, au cours de ses sermons rares et frappants de
concision, étaient invariables, à l'instar de celui-ci qu'il adressa à la communauté mouride un jour
de fête :
"Je transmets mes salutations à tous ceux qui, en ce jour de fête, se sont rassemblés ici. Je vous
recommande de persévérer davantage à toujours vous conformer aux Prescriptions de DIEU, à
celles de Son Messager et aux enseignements du Serviteur du Prophète. Car le Cheikh nous a
légué des écrits sans équivoque et enseigné clairement devant la postérité tout ce qu'il se devait
de nous apprendre à savoir le respect des Lois de DIEU, la conformité à la Sunna de Son Messager
(PSL), la Crainte de DIEU et l'abstention envers Ses Interdits. Je vous recommande également de vous rappeler constamment l'Autre Vie car ce monde d'ici-bas est négligeable et éphémère par
essence ; aussi tout être humain s'y trouvant se doit de se souvenir de sa Demeure Eternelle et
d'œuvrer pour celle-ci. Persévérons donc dans l'imploration constante du Pardon de DIEU et dans
la quête de Son Agrément. La Paix soit sur vous. "
Cheikh Mourtada nous quitta le 8 août 2004, à Rabat, à l'âge de 80 ans et fut inhumé à Touba –
coïncidence significative – entre le mausolée de son père, dont il perpétua l'héritage d'une
manière inégalée, et la bibliothèque de Touba, lieu de connaissance, cette cause à laquelle il
dévoua une existence hors du commun, après avoir posé l'un des actes forts les plus fabuleux de
l'histoire du Sénégal moderne, à savoir le legs de la totalité des biens relevant de l'Institution AlAzhar à la Cause du SEIGNEUR Tout-Puissant dans le testament qu'il fit à cet effet :
"Au nom de DIEU, le CLEMENT et MISERICORDIEUX. La Louange soit à DIEU. Que tous ceux qui liront ce document que j’ai écrit personnellement sachent que je prends comme témoins DIEU et Ses
deux Anges Scribes et déclare que j’ai persévéré à accomplir ma promesse auprès de DIEU. J’ai
ainsi décidé de dédier l'Institution Islamique Al-Azar et ses centres annexes (bâtiments, terrains et la totalité de leurs usufruits) que ce soit à Ndame, Kaolack, Bambey, Thiès, Saint-Louis, Diourbel et
ailleurs, au SEIGNEUR Tout Puissant, de sorte qu’aucun acte interdit par le Créateur n’y soit
accompli. Je prie DIEU, le Très-Haut, de bénir et de rétribuer les œuvres mentionnées ci-dessus de
même que tous ceux qui participeront à leur accomplissement et leur réussite. Puisse DIEU, l'Unique
Témoin de mes propos, nous accorder, à moi et à tous les musulmans, Sa miséricorde."
Point, à notre sens, ne saurait exister assurément de meilleur modèle et de plus belle illustration de
l'assertion du Serviteur Privilégié du Prophète (PSL) dans son poème "Wasilatu Rubuh"