Cet article est paru dans l'hebdomadaire du 5 juillet 2011
Ce dimanche 3 juillet, l'interview faisait partie d'un plan média réglé d'avance. Invitée du 20 heures de France 2 cinq jours après sa déclaration de candidature à l'élection présidentielle, Martine Aubry devait dire sa détermination et évoquer son projet pour la France. Mais voilà, coup de théâtre et révélations en série à New York ! L'accusatrice a menti, l'accusé libéré sera sans doute bientôt innocenté... Le cas DSK s'invite au JT de Martine Aubry.
La moitié de l'entretien lui est consacrée. "Est-ce que tout bascule ?", demande le journaliste Laurent Delahousse. "Dès les premières nouvelles de la nuit, cela a été une immense joie, j'espère de tout mon coeur que les choses avancent de manière positive car j'ai une grande proximité affective avec lui", confie Aubry, qui est restée "en lien permanent avec Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair".
Peut-il revenir dans la course de la primaire ? "Comme les quelques amis qui l'ont eu, je dis la même chose, c'est-à-dire laissons-le souffler", insiste-t-elle. "Dominique a vécu l'enfer, il faut le laisser sortir de ce cauchemar." Mais s'il souhaite se porter candidat, "personne n'osera lui opposer un quelconque calendrier". Et sa propre candidature, au fait ? "J'irai jusqu'au bout parce que les Français nous attendent", affirme Aubry, qui se dit "peut-être la mieux placée". Un doute ? "C'est du moins ma conviction aujourd'hui."
L'épreuve de Pénélope recommence
Rude soirée pour la candidate fraîchement partie à la conquête de l'Elysée et déjà contrainte à de pénibles contorsions. Réaffirmer sa volonté, son envie, et, dans le même temps, ne pas insulter un avenir qui peut basculer d'un jour à l'autre. Pauvre Martine Aubry ! L'épreuve de Pénélope recommence. Il lui faut de nouveau composer avec un absent, guetter un signe, préparer un éventuel retour...
Deux ans que cela dure. Viendra, viendra pas ? Aubry liée à Strauss-Kahn par un pacte de non-concurrence à l'élection présidentielle a longtemps patienté. Tenu par un devoir de réserve et absorbé depuis quatre ans par une tâche capitale, le directeur général du FMI ne pouvait, ni ne souhaitait, se déclarer avant le printemps 2011. Avec ses camarades, la première secrétaire a donc tué le temps en réformant et en organisant tant bien que mal la maison socialiste.
Puis ce cataclysme inimaginable s'est produit : le 14 mai, DSK, le favori des sondages qui devait rafler l'Elysée, est précipité, en quelques heures, de la gloire mondiale à l'opprobre planétaire... D'abord secouée par la déflagration puis digne et solide, Martine Aubry, la première secrétaire que beaucoup voyaient s'effacer devant son allié, a ressorti ses ambitions de sa boîte à ouvrage.
Dominique ne pouvait pas honorer le rendez-vous convenu du 28 juin, date d'ouverture du dépôt des candidatures à la primaire du PS. Qu'à cela ne tienne, Martine a pris sa chance et s'est mise en route. Badaboum ! Deuxième coup de tonnerre : DSK remonte des enfers. Il s'agit d'un ami, bien sûr. Mais d'un ami fort encombrant. Aubry est rattrapée par son ombre tutélaire.
S'il revient lavé de toute accusation et à nouveau nanti de sondages favorables, que vaudra le devoir de candidature de Martine ? Et si l'ex-directeur du FMI ne peut ou ne veut pas se présenter, sa simple réapparition ne risque-t-elle pas de la renvoyer au statut de "candidate de substitution" qui la fait tant enrager ? La marge de manoeuvre de la première secrétaire s'est brutalement rétrécie. Elle n'est déjà plus tout à fait maîtresse de son destin.
"S'il se manifeste, je sais en faveur de qui il le fera"
En attendant, l'entourage de Martine Aubry en appelle à la raison. "Pour l'heure, Dominique Strauss-Kahn n'a rien demandé. Et en politique, il vaut mieux s'appuyer sur des faits que sur des spéculations", rappelle François Lamy, le conseiller politique d'Aubry.
La première secrétaire devenue candidate poursuivra donc sans broncher son oeuvre de candidate, de déplacements en réunions publiques. Comme si de rien n'était. Elle prendra aussi quelques congés "pour être en forme en septembre". "En vérité, rien n'était décidé entre Aubry et Strauss-Kahn. Le mieux placé devait y aller. Et la mieux placée pour 2012, c'est bien Martine", répète Marylise Lebranchu, proche amie d'Aubry. Car les aubrystes croient savoir qu'il faudra de toute façon du temps à DSK pour se reconstruire. "On ne se remet pas en quelques semaines d'une tourmente pareille, observe un conseiller de la première secrétaire. Je ne vois pas comment Dominique pourrait se présenter à la présidentielle. Son image est abîmée."
Mais le moment venu, les partisans de la maire de Lille comptent sur sa complicité. "S'il se manifeste, je sais en faveur de qui il le fera", glisse François Lamy. Les stratèges attachés à la dame de Lille se réjouissent déjà en pensant à la tête que feront alors les strauss-kahniens Moscovici, Peillon ou Collomb - qui ont rejoint l'écurie de François Hollande. Ensuite, au fil du temps qui répare, ils voient DSK prendre une part importante dans la campagne, devenir ministrable, et pourquoi pas premier-ministrable d'Aubry...
Hollande a mis Aubry dans l'embarras
L'hypothétique retour en piste de l'oncle d'Amérique ne sied pourtant pas à tous les aubrystes. L'aile gauche du parti, représentée par Benoît Hamon, verrait d'un mauvais oeil leur candidate renouer avec l'ex-directeur général du FMI, qui prône la réduction de la dette et la maîtrise des dépenses sociales. Car le réinvestissement de l'ex-prisonnier de Manhattan contraindrait Martine Aubry à déplacer l'axe de sa campagne vers la social-démocratie libérale. Et réduirait sa différence avec son rival François Hollande, en mauvais termes avec DSK mais plus proche, en fait, de ses idées.
Prompt à réagir aux bonnes nouvelles provenant de New York, Hollande a mis Aubry dans l'embarras. Il fut le premier à proposer une prolongation du dépôt des candidatures au-delà du 13 juillet. Ceci afin d'autoriser, le cas échéant, DSK à se porter candidat. Une posture aussi généreuse qu'habile bientôt adoptée par Ségolène Royal... Et qui a contraint Aubry à considérer, elle aussi, la possibilité d'un assouplissement des règles pour le camarade Strauss-Kahn. Certes, il a fallu pour cela désavouer au passage Benoît Hamon et Harlem Désir, respectivement porte-parole et premier secrétaire par intérim du PS, qui ne voyaient "aucune raison de bouleverser le calendrier". Mais que ne ferait-on pas pour un ami, un vrai ? Désormais la porte est ouverte. Même si elle ne souhaite pas forcément que DSK la franchisse.
Sylvain Courage - Le Nouvel Observateur
Cet article est paru dans l'hebdomadaire du 5 juillet 2011